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Inégalités en matière de santé dans le domaine de l’arthrite : le défi linguistique

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Plus de 7,8 millions de personnes au Canada ont une langue maternelle autre que l’anglais ou le français; le cantonais, le mandarin et le panjabi sont parmi les plus répandus.1 Les personnes dont la langue maternelle n’est pas officielle peuvent être confrontées à des obstacles importants en matière de soins de santé, ce qui, finalement, a un impact sur leur capacité à gérer des maladies chroniques comme l’arthrite. S’appuyant sur la recherche ainsi que sur les expériences directes des membres de la collectivité, cet article portera principalement sur les expériences des immigrants et des réfugiés nouvellement arrivés au Canada.

Les effets des barrières linguistiques sur l’accès et la qualité des soins

Le point de vue du patient

De nombreux groupes sont touchés par les barrières linguistiques; outre les immigrants et les réfugiés, les francophones vivant hors Québec ou les anglophones vivant au Québec, les personnes sourdes et les membres de certaines collectivités des Premières nations et des Inuits sont tous confrontés à des difficultés2. Les barrières linguistiques peuvent limiter l’accès aux services de soins de santé et aux programmes de promotion de la santé et de prévention. Selon une étude réalisée en 2017 par le Wellesley Institute, le fait de recevoir des soins dans une langue que l’on ne comprend pas entraîne souvent de moins bons résultats pour la santé. Il s’agit notamment d’un risque plus élevé de se faire prescrire des tests médicaux inappropriés, d’un risque accru d’hospitalisation et d’effets indésirables des médicaments et d’une diminution de la satisfaction des patients3. Les barrières linguistiques ont d’autres répercussions sur les soins prodigués aux patients. Elles peuvent retarder la recherche de soins et l’obtention d’une orientation et d’un diagnostic et entraîner la non-adhésion au traitement, une mauvaise information sur le diagnostic et les résultats des tests et une mauvaise gestion de la maladie chronique d’un patient.

La directrice des programmes du comité ACE, Anita Chan, raconte l’expérience de sa famille en matière d’accès aux soins de santé pour sa grand-mère qui ne parle pas l’anglais : « Lorsque je prends des rendez-vous médicaux pour ma grand-mère, je dois trouver un moment qui lui convient à elle, à un membre de sa famille et à un interprète médical qualifié. Cela entraîne un retard dans la réception des soins et à 94 ans, tout retard peut avoir un effet négatif sur la santé de ma grand-mère. Il s’agit uniquement de soins de routine. Pour les soins plus poussés, tout dépend de la nature des soins et des personnes disponibles ».

De nombreuses femmes réfugiées au Canada déclarent qu’elles sont dépendantes et isolées (éprouvant du rejet, de la honte et des craintes) en raison des barrières linguistiques4. Elles décrivent leur dépendance à l’égard des autres pour obtenir des indications sur la façon de se rendre à la clinique et des services d’interprétation. Les cliniques pour réfugiés, où les personnes sont le plus souvent traitées par des professionnels de la santé (PSS) qui parlent la même langue qu’elles, sont rares. Les cliniques sans rendez-vous pour la population générale n’ont pas de services d’interprétation. Dans une étude, une participante se rappelle avoir été refusée parce qu’elle ne pouvait pas parler efficacement à un spécialiste. Elle a dû attendre 7 mois pour obtenir un nouveau rendez-vous. Selon une autre personne interrogée dans le cadre de l’étude : « C’était effrayant de ne pas connaître la langue… Je n’avais aucune idée de ce dont ils [les travailleurs de la santé] parlaient ou de ce qu’ils allaient me faire ». Le tableau ci-dessous présente l’impact des barrières linguistiques sur les résultats des patient9:

Le point de vue du système de santé

Lorsque les services d’interprétation ne sont pas disponibles, les professionnels de la santé peuvent demander des tests médicaux supplémentaires pour déterminer le diagnostic du patient, ce qui peut être coûteux en termes de temps et d’argent pour le système de santé. Il peut arriver souvent que des patients confrontés à des barrières linguistiques doivent être hospitalisés de nouveau en raison de soins ou de traitements à domicile inadéquats, autre fardeau pour le système de santé. Pour résoudre le problème de la barrière linguistique, les établissements de soins de santé utilisent davantage de services d’interprétation par téléphone, en personne, via un PSS bilingue et virtuellement – via une plateforme de réunion, l’intelligence artificielle ou des applications mobiles.

Accès aux services d’un interprète

Malgré les engagements dans la loi canadienne sur la santé pris en faveur de services de santé accessibles sans barrières comme la langue, les droits des locuteurs de langues minoritaires ne sont pas clairs (à l’exception des personnes sourdes qui doivent bénéficier de services d’interprétation pour les soins de santé)5. Lorsque les hôpitaux fournissent des services d’interprétation, il appartient au patient ou aux membres de sa famille de le demander et les services sont généralement offerts pendant les heures d’ouverture.

À ce jour, il n’existe pas de stratégie nationale pour la formation des interprètes de santé, l’accréditation des interprètes et les normes de prestation de services. Des interprètes formés à la terminologie médicale sont disponibles pour les patients dans les grands centres du Canada, mais ne sont pas facilement accessibles dans les petites collectivités6.

Interprètes formés contre aucun interprète ou interprètes sans formation

Les interprètes formés ont reçu une formation officielle, en classe ou sur le terrain, auprès de l’établissement ou de l’organisme de soins de santé pour lequel ils travaillent. Cette formation supplémentaire les aide à comprendre la terminologie des soins de santé, ce qui leur permet de servir à la fois de traducteurs et d’interprètes spécialisés. Un interprète non formé est un terme général qui désigne toute personne qui se livre à l’interprétation; il n’a pas de formation formelle et est souvent un ami, un membre de la famille ou un bénévole.

Des recherches ont montré que par rapport à des interprètes sans formation ou inexistants, des interprètes formés permettent d’obtenir de meilleurs résultats cliniques, de meilleurs résultats également pour les patients ainsi qu’une diminution des erreurs cliniques. Les interprètes sans formation présentent souvent des taux plus élevés d’omissions (de renseignements) et d’erreurs d’interprétation (communication de renseignements erronés)3.

« La première fois que j’ai assisté à une consultation médicale avec ma grand-mère, elle avait un interprète qualifié. Malgré sa meilleure interprétation, j’ai remarqué qu’il y a des termes en cantonais qui n’ont tout simplement pas d’équivalent en anglais et vice versa. Souvent, je me retrouve à demander à l’interprète de nous présenter les termes médicaux dans un langage simple et convivial », a déclaré Anita Chan, du comité ACE.

Interprétation culturelle

Les différences culturelles ont un impact profond sur le processus d’interprétation. La compréhension culturelle a été identifiée comme un élément clé dans la fourniture de soins de santé adéquats aux immigrants. Par exemple, dans une étude récente, des médecins et des infirmières parlant le vietnamien ont affirmé qu’ils avaient une connaissance culturelle des besoins et des comportements de leurs clients vietnamiens que d’autres prestataires de services n’ont peut-être pas7. Une analyse documentaire a également révélé que la maladie mentale est fortement stigmatisée et attribuée à la honte dans de nombreuses cultures8. Dans une étude, les participants ont déclaré qu’ils se sentaient « obligés de cacher leur détresse par crainte d’être aliénés ».

« Du point de vue d’un professionnel de la santé, c’est parfois moins une question de langue qu’une question de culture. Nous avons rencontré des patients et des familles qui ont refusé des interprètes et ne voulaient que les membres de la famille pour servir d’interprètes. Parfois, ils ne veulent pas d’interprète car, leur collectivité étant petite, ils craignent que les autres membres de cette collectivité soient éventuellement au courant. Et parfois, la famille veut contrôler ce que le patient sait ».

– un pharmacien, hôpital Royal Columbian

Éthique et vie privée du patient

Les barrières linguistiques rendent difficile le respect des normes professionnelles de soins par les prestataires et augmentent leur risque de responsabilité pour les erreurs ou négligences médicales. Les prestataires de soins de santé indiquent ne pas être parfois aussi efficaces et satisfaits des services qu’ils fournissent2. Une consultation avec un patient et un interprète médical professionnel demandera plus de temps; les professionnels de la santé ont l’impression qu’ils doivent précipiter la consultation et leurs explications. Certains sont frustrés lorsque des interprètes non formés les interrompent au milieu d’une explication pour leur demander des précisions.

L’interprétation, qu’elle soit linguistique ou culturelle, joue un rôle important dans les résultats obtenus en matière de santé mentale, de santé génésique et de maladies chroniques. Les renseignements destinés à tous les patients sont sensibles; l’éthique professionnelle et la confidentialité sont importantes. La prestation de soins éthiques dépend de l’obtention d’un consentement éclairé et du maintien de la confidentialité. Pour y parvenir, une communication ouverte et fréquente est essentielle. En cas de barrière linguistique, le consentement est donné, mais le patient peut ne pas comprendre toutes les implications de la procédure.

Améliorer la qualité des soins et les résultats en matière de santé

Les meilleurs résultats en matière de santé sont obtenus lorsqu’un patient est jumelé à un prestataire de soins de santé qui parle la même langue que lui. L’une des façons d’encourager cette démarche consiste à apporter des changements fondamentaux à l’enseignement médical (c’est-à-dire l’intégration, l’octroi de bourses, l’ajout de cours de langue ou de culture dans le programme d’études).

Des changements peuvent également se produire dans la prestation des modèles de soins. Davantage de fonds de santé publique peuvent être alloués à la formation d’interprètes, à la création d’un modèle national de services d’interprétation pour le Canada, à la formation linguistique des professionnels de la santé et à la traduction des dossiers d’information destinés aux patients. Ce dernier point est crucial pour les programmes de prévention et pour l’autogestion des soins par les patients, à domicile.

Le partenariat avec les défenseurs des patients et les organisations de services aux immigrants peut également alléger une partie de la charge qui pèse sur le système de soins de santé. Ces organisations peuvent offrir des formations linguistiques et des compétences non techniques aux groupes minoritaires. Par exemple, pendant la pandémie de la COVID-19, S.U.C.C.E.S.S., une agence qui aide les gens à toutes les étapes de leur voyage au Canada, a fourni une formation technologique en ligne. Il est crucial pour la réussite d’une consultation médicale virtuelle d’apprendre à utiliser des plateformes vidéo en ligne telles que Zoom. Les associations de patients peuvent également aider à promouvoir des programmes et des ressources d’éducation en matière de santé qui sont disponibles dans différentes langues.

Le déficit de recherche – la sous-représentation des groupes minoritaires

L’un des effets indirects des barrières linguistiques est l’impact qu’elles ont sur la participation des minorités linguistiques à la recherche. En raison des barrières linguistiques, certaines minorités ethniques ne peuvent pas participer à la recherche et sont donc sous-représentées dans la recherche clinique et dans celle sur les services de santé. De plus, l’exclusion de certains groupes ethniques de la recherche biomédicale peut avoir pour conséquence que les résultats des études ne peuvent être généralisés à l’ensemble de la population. On en sait moins sur les facteurs de risque, la prévalence des maladies et la réponse au traitement de groupes ethnoculturels spécifiques. Notre prochain article sur les inégalités en matière de santé dans le domaine de l’arthrite couvrira ce problème en profondeur.

Aller au fond des choses : autres articles dans cette série


  1. Statistique Canada. Recensement en bref : Diversité linguistique et plurilinguisme au sein des foyers canadiens. (2017) https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-sa/98-200-x/2016010/98-200-x2016010-fra.cfm
  2. Bowan, S. Barrières linguistiques dans l’accès aux soins de santé. Santé Canada. (2003). https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/systeme-soins-sante/rapports-publications/accessibilite-soins-sante/barrieres-linguistiques.html
  3. Laher, N, A Sultana, A Aery, and N Kumar. Access to Language Interpretation Services and Its Impact on Clinical and Patient Outcomes: A Scoping Review. Wellesley Institute. (2018) (en anglais seulement). http://www.wellesleyinstitute.com/wp-content/uploads/2018/04/Language-Interpretation-Services-Scoping-Review.pdf.
  4. Floyd, A., Sakellariou, D. Healthcare access for refugee women with limited literacy: layers of disadvantage. Int Journal for Equity in Health 16, 195 (2017). (en anglais seulement) https://doi.org/10.1186/s12939-017-0694-8
  5. Santé Canada. Loi canadienne sur la santé – Rapport annuel 2014–2015. https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/systeme-soins-sante/rapports-publications/loi-canadienne-sante-rapports-annuels.html
  6. CBC. Hospital patients in Canada lacking English need access to interpreters, study says (November 4, 2019) (en anglais seulement) https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/patients-lacking-english-need-equal-access-to-interpreters-in-canada-study-1.5346763
  7. Kalich, A., Heinemann, L. & Ghahari, S. A Scoping Review of Immigrant Experience of Health Care Access Barriers in Canada. Journal of Immigrant and Minority Health 18, 697–709 (2016). (en anglais seulement) https://doi.org/10.1007/s10903-015-0237-6
  8. Ahmed, S., Shommu, N. S., Rumana, N., Barron, G. R., S., Wicklum, S., & Turin, T. C. Barriers to access of primary healthcare by immigrant populations in Canada: A literature review. Journal of Immigrant and Minority Health, 18(6), 1522-1540. (2016) (en anglais seulement) https://doi.org/10.1007/s10903-015-0276-z
  9. Squires, A. Strategies for overcoming language barriers in healthcare. Nursing Management, 49 (4), 20-27 (2018). (en anglais seulement) https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29528894/